Rien de nouveau sous le soleil : les garçons apprennent, depuis toujours, à réprimer leurs émotions pour répondre aux stéréotypes de genre. « Un garçon, ça ne pleure pas. Sois fort! », donne en exemple la journaliste Liz Plank, dans son essai Pour l’amour des hommes. Le livre, traduit et publié aux Éditions Québec Amérique, met en lumière les dangers de « la grande répression », liée à la masculinité toxique.
C’est un genre de détachement émotionnel si pernicieux et si profondément ancré dans la façon dont ils ont été élevés qu’il reste presque invisible avant qu’il ne soit trop tard. Pas étonnant que les hommes ne soient pas capables de gérer leurs émotions : enfant, on leur a appris qu’ils n’en avaient pas » explique Liz Plank.
« On appelle ça l’émotivité restrictive et c’est un comportement acquis et non inhérent à la biologie », poursuit l’auteure en citant plusieurs études. Le psychiatre Jeroen Jansz, de l’Université d’Amsterdam, décline la masculinité moderne en quatre éléments : l’autonomie, la réussite, l’agressivité et le stoïcisme, qui « favorisent une rupture avec les sentiments, la vulnérabilité et la douleur ».
Ce blocage émotionnel, combiné à une incapacité à demander de l’aide, a un impact destructeur sur la santé physique et mentale des hommes. L’idéal masculin prône souvent la force et l’indépendance. Être à l’écoute de ses émotions est perçu comme un signe de faiblesse. La honte empêche des hommes de trouver les ressources adéquates qui les aideraient à surmonter leurs difficultés. La colère, la violence, la consommation d’alcool ou de drogues sont des stratégies d’adaptation inappropriées pour aspirer à un mieux-être. Ces problèmes peuvent cacher des enjeux de santé mentale plus grands, tels que la dépression.
Centre de réadaptation
Or, aujourd’hui, les femmes ne veulent plus faire le travail émotionnel à la place de leur conjoint. « Et si beaucoup de leurs mères ont enduré le refus de leur partenaire à affronter ses déficiences émotionnelles et à se responsabiliser par rapport à sa santé mentale, la génération suivante commence à se demander pourquoi elle devrait les imiter », écrit Liz Plank en ajoutant que plus les femmes sont indépendantes, moins elles sont susceptibles de tolérer des relations insatisfaisantes.
Autrement dit, les femmes ne veulent plus être « un centre de réadaptation »; voir son amoureux patauger dans son marasme sans chercher des solutions peut effectivement tuer le désir, à long terme. « Se sentir comprise et proche de son mari est l’indicateur le plus solide du niveau de satisfaction maritale d’une femme », selon une étude de l’Université de Virginie, réalisée en 1998, auprès de 5000 couples hétérosexuels américains.
Non seulement cette répression des émotions nuit-elle aux relations amoureuses, mais elle condamne aussi les amitiés sincères et profondes. La masculinité toxique dicte aux hommes d’éviter toute intimité avec leurs pairs et surtout, à ne jamais exposer leur vulnérabilité. C’est pourquoi une partie de la gent masculine relaie ses condisciples au rang de connaissances, faute d’entretenir des liens affectueux et authentiques.
La force des amitiés
« De récentes méta-analyses réalisées auprès de 49 000 sujets concluent même que l’amitié et les liens sociaux sont de grands indicateurs de l’espérance de vie, plus importants encore que le tabagisme, l’alcoolisme et l’obésité », indique Liz Plank. La force des liens sociaux expliquerait notamment pourquoi les femmes vivent plus longtemps que les hommes, partout sur la planète.
Une étude publiée dans New England Journal of Medecine, portant sur 2320 survivants d’infarctus, a démontré que « les hommes qui ont beaucoup d’amis proches sont moins susceptibles de mourir dans les trois ans qui suivent que ceux qui manquent de liens sociaux ».
Plusieurs scientifiques avancent que l’isolement serait le problème de santé publique le plus important de notre époque. Heureusement, des hommes prennent désormais la parole pour contester cette façon archaïque de concevoir la masculinité, et promouvoir les bienfaits de relations égalitaires connectées à l’état émotionnel de leurs protagonistes.
Nous faisons tous et toutes partie – hommes et femmes – du problème… et de la solution. Une réelle prise de conscience semble nécessaire, « pour l’amour des hommes ».
*L’éditorial a été initialement publié dans le magazine Reflet de Société, en août 2021.