Un père mourant, plongé dans le coma, à l’hôpital. À ses côtés, sa jeune fille jouit sur un lit de camp. C’est le point de départ du roman Il préférait les brûler de l’autrice, animatrice et reporter, Rose-Aimée Automne T. Morin, publié en février chez Stanké. Une image forte et provocante. Parce que le désir chez l’enfant est tabou. Ces premières lignes mettent la table pour explorer la sexualité et ses possibles dérives, élaborées dès l’enfance.

« Fauve trouve sa propre identité uniquement quand elle peut transposer sa sexualité sur autrui. Le désir passe par la sexualité et lui permet de s’échapper de la sphère familiale. C’est en prenant le pouvoir de sa propre sexualité qu’elle arrive finalement à s’affranchir de son père », explique Rose-Aimée en entrevue.

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Rose-Aimée Automne T. Morin durant son enfance.

À travers le personnage de Fauve, l’autrice évoque les liens fusionnels avec son propre papa hédoniste, fantasque, irresponsable et condamné par un cancer lorsqu’elle avait deux ans. La petite fille a grandi dans la peur constante de perdre son père, mais aussi son intérêt, voire son admiration en sachant aussi qu’il avait déjà abandonné d’autres enfants.

Dans le rejet des conventions, l’homme vit comme si chaque journée était la dernière. Son ultime mission : façonner sa fille à l’image de la femme de ses rêves jusqu’à ce que la mort vienne le chercher, 14 ans plus tard. Une autofiction qui joue avec le vrai et le faux, mais expose surtout les choses belles et laides qui ont construit l’identité de Rose-Aimée et peut-être, de bien d’autres jeunes filles…

« Ton père était un beau grand fou qui ne vivait pas dans le même monde que nous, lui a déjà dit la comédienne Danielle Ouimet qui a travaillé avec lui. Tu lui diras qu’il me doit encore 2000 piasses. » Un commentaire qui décrit bien le personnage complexe et manipulateur, qui a été adoré par les uns et détesté par les autres broyés sur son passage. Malgré tout, Rose-Aimée a été « amoureuse de lui » et visiblement saturée d’amour.

 J’ai tellement été aimée dans ma vie que j’ai une confiance absolue en moi-même. La confiance en soi est le plus beau cadeau qu’un père peut donner à sa fille. »

Repousser ses limites

Aujourd’hui, la pétillante animatrice n’hésite pas à se mettre en danger dans son récent projet documentaire Comment devenir une personne parfaite, diffusé sur l’Extra de Tou.tv. Dans sa quête de perfection – supervisée par des spécialistes qui l’aideront à gravir les échelons de l’intelligence, du sex-appeal, de la spiritualité et de l’organisation –, impossible de ne pas faire de lien avec son roman inspiré par son enfance hors-norme. Deux projets qui ont évolué en parallèle au même moment, l’an dernier.

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Crédit : Série documentaire Comment devenir une personne parfaite, diffusée sur l’Extra de Tou.tv.

Pour le meilleur et pour le pire, la trentenaire a grandi sous le joug d’un père qui l’a initiée très jeune aux échecs, à la politique internationale, au jazz et aux lectures de Sartre, Steinbeck, Ducharme et du Kamasutra… pour en faire une femme brillante à la « sexualité enivrante ».  

« J’ai vécu de l’inceste intellectuel, admet-elle. On m’a donné un cadre strict, et surtout marginal pour devenir une femme égoïste, affirmée, déplacée, drôle et cultivée. Mon père m’a donné les outils pour grandir seule et être en mesure d’assumer mes choix, d’être à la fois combattive et attirante; parce que savoir plaire – pas seulement sexuellement –, c’est aussi obtenir ce qu’on désire. »

Trois mois pour devenir la meilleure

L’importance de briller sur tous les fronts est inscrite naturellement dans les gènes de Rose-Aimée. Rien de moins pour encourager l’animatrice à se mettre au défi de devenir parfaite en trois mois. « Un passeport pour l’échec m’a dit le psychologue Nicolas Chevrier dès la première journée de tournage, lance Rose-Aimée. Le perfectionniste est lié à l’angoisse et l’anxiété, il m’a demandé si je voulais développer un trouble mental. » Elle avoue avoir sombré allégrement dans la spirale de la performance à la limite de l’absurde. « On tombe vite dans le narcissisme et l’autoflagellation. »  

Rose-Aimée Automne T. Morin Enfance Séduction Sexualité Feministe tabou sexe performance perfectionniste intelligence Hypnose
Crédit : Série documentaire Comment devenir une personne parfaite, diffusée sur l’Extra de Tou.tv.

L’écriture de son bouquin a aussi pris une toute nouvelle tangente lors de l’épisode sur la spiritualité. Sous hypnose pendant deux heures, l’animatrice était censée revoir des vies antérieures alors qu’elle l’a davantage vécu comme un exercice créatif d’écriture automatique.

« Je me suis mise à revoir des moments de ma jeunesse où j’ai cherché à séduire, où je me suis sentie désirable à travers le regard masculin. À cet âge-là, je n’étais pas censée comprendre ce que ça voulait dire être désirable, souligne-t-elle. J’ai beaucoup pleuré en répétant que le désir était une injonction imposée beaucoup trop tôt aux jeunes filles. » Des images qui n’ont pas été retenues au montage de la série.

L’éveil sexuel féminin

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Crédit : Il préférait les brûler, Stanké

Dès lors, l’autrice a choisi de réécrire le roman pour raconter son histoire, mais aussi celle de bien des jeunes filles qui savent très bien ce qu’on attend d’elles, beaucoup trop tôt. « Elles comprennent que la séduction est une forme de pouvoir », croit Rose-Aimée qui a volontairement voulu choquer et susciter la réflexion chez ses lectrices et ses lecteurs avec des passages où la petite Fauve tente d’exciter des hommes plus vieux.

Selon elle, la sexualité des jeunes filles est encore beaucoup trop taboue. « Je me rappelle de mon premier rêve érotique après être tombée endormie devant le Bye-Bye. J’ai rêvé qu’André-Philippe Gagnon me donnait des becs dans le cou sur un radeau. Je me suis réveillée avec un profond sentiment de malaise et de culpabilité, avoue-t-elle en riant. Très jeune, on associe l’exploration de la sexualité à la honte tout en cherchant l’approbation des hommes. » 

L’écueil des stéréotypes de beauté

Pour plonger totalement dans la mission de sa série documentaire, la trentenaire s’est aussi fait violence en répondant aux codes hétérosexuels de séduction. Injections de botox dans les lèvres et au coin des yeux, talons hauts et poses suggestives en petites tenues pour la Une du magazine Summum ont été le lot de la reporter.  

« Je ne pouvais pas m’intéresser seulement aux valeurs positives que les femmes doivent cultiver, mais aussi tous les archétypes que la société nous demande d’embrasser pour être parfaite. Je devais amplifier chez-moi les choses qu’on peut trouver sexy : la jeunesse, les gros seins et les talons hauts. Je devais aller à l’encontre de ce que je voulais; j’ai remis un soutien-gorge paddé pour la première fois en cinq ans », dit celle qui est capable de se faire pousser le poil pour rejeter les diktats de la société, mais qui trouve particulièrement difficile d’endosser le rôle de la lolita.

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Crédit : Série documentaire Comment devenir une personne parfaite, diffusée sur l’Extra de Tou.tv.

Selon la grande rousse, le public n’est pas conscient du nombre de femmes qui reçoivent des injections pour être belles à l’écran, même ici au Québec. « C’est incroyable le nombre de personnes qui ont recours au botox! Il faut arrêter de penser que c’est seulement des caricatures de femmes riches et âgées, il y a aussi des femmes de 30 ans qu’on voit à la télévision ou sur Instagram. On se met une pression de performance inatteignable lorsqu’on se compare à elles. »

Ni tout noir ni tout blanc

Rose-Aimée a fait un long cheminent pour se défaire « lentement, mais sûrement » de la pression de performance et des attentes infligées par son père. « J’apprends à me découvrir et à négocier avec mes propres réflexes, dit-elle. J’aime plein d’affaires qui m’ont été dictées, mais aussi d’autres que j’ai choisies à travers le temps. »

Bien des parents peuvent tomber dans le piège de vouloir en faire trop dans l’éducation de leurs enfants, en leur imposant avec conviction leur vision pour réussir dans la vie. C’est pourquoi l’animatrice ne rejette pas en bloc les enseignements de son père.

Il avait ses torts, mais c’est la relation la plus complexe, mais aussi la plus fertile que j’ai eue », souligne l’autrice qui se dit obsédée par les questions relatives à l’identité.

Un enfant est une éponge façonnée par le contexte familial, mais aussi par les systèmes économiques et culturels dans lesquels il grandit. À travers la lecture de son roman, j’ai trouvé difficile d’éprouver de l’affection pour le papa qui entretenait une relation ambiguë avec Fauve. Au contraire, j’étais souvent inconfortable lorsque la petite fille adoptait des comportements d’aguicheuse.

Il est vrai que très jeunes, les filles apprennent à faire de beaux yeux et à être jolies pour plaire aux autres. Plusieurs femmes se reconnaitront certainement dans son histoire. Le papa de Rose-Aimée était finalement un féministe. Parce qu’il voulait lui apprendre à maitriser le pouvoir de la séduction pour mieux contrôler les hommes. C’est vrai que c’est une arme puissante… encore beaucoup trop valorisée par notre société. Et c’est parfois un jeu dangereux!

Auteure

J'adore raconter des histoires! Souvent comme journaliste, ici comme chroniqueuse.

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