J’ai eu le meilleur papa au monde. Un aventurier qui m’a donné le goût du plein air. Petite fille, j’étais sa princesse qui parlait aux poissons et aux animaux de la forêt lorsque nous partions à la pêche. Avec mon frère, nous avons traversé en canot des rivières remplies d’obstacles à surmonter. Nous avons exploré les profondeurs des lacs québécois avec nos masques, nos tubas et nos palmes.

Pendant la période des fêtes, nous avions l’habitude de louer un chalet dans une pourvoirie, à Saint-Zénon. Mon père, directeur des loisirs, ne tenait jamais en place. Il nous réveillait la nuit pour faire de la raquette ou de la luge au clair de lune. Tous les quatre, nous aimions contempler le ciel étoilé, compter les satellites et guetter les étoiles filantes. 

De retour à notre maison familiale, mon père transformait la cour arrière en immense patinoire. À grands coups de boyau d’arrosage qui détruisait le gazon au printemps, au désespoir de ma maman. Peu importe la température, nous enfilions tuques, foulards, mitaines et patins pour glisser sur la glace, tous les soirs après souper. Mes souvenirs d’enfance avec mon papa goûtent le Kraft Dinner aux saucisses, le popcorn à la mélasse, les guimauves dorées et le sapinage. 

Chute libre

Un jour, l’enthousiasme légendaire de mon père s’est pourtant évaporé. En novembre 1994, sa sœur a mis fin à ses jours. Pour la première fois, j’ai vu mon père dévasté le jour de Noël alors que j’avais l’habitude de ses excès festifs. À 11 ans, j’ai réalisé que des adultes pouvaient penser au suicide. J’ai aussi compris que la maladie mentale était taboue.  

J’ai vu mon héros hyperactif sombrer dans la dépression. À 43 ans, mon papa dormait beaucoup trop, passait ses journées en robe de chambre et en pantoufles. Prendre une douche et se brosser les dents étaient des épreuves en soi. L’étincelle dans ses yeux avait disparu. Je ne comprenais pas son mal de vivre, ses ruminations anxiogènes et son incapacité à refaire surface. J’ai tenté par tous les moyens de trouver un remède à ses maux. 

Les 25 dernières années ont été une succession de hauts et de bas. Des années de bonheur suivies par des mois de grandes noirceurs. Par moment, je me suis épuisée à vouloir l’aider. Je me suis souvent sentie impuissante. J’ai demandé à mon médecin de famille de prendre le relai. Le diagnostic n’est toujours pas clair. La médication ne suffit pas à enrayer définitivement les phases dépressives.  

En équipe avec ma mère, j’ai élaboré divers plans de match. Prescrire du sport ; aller marcher. Mettre en place de petits objectifs à dépasser jour après jour. Trouver des choses qui lui font du bien : être dehors ou aller pêcher avec sa fille. Avoir un filet de sécurité; des personnes prêtes à l’écouter sans le juger. Mon père n’a jamais accepté de consulter un psychologue. C’est plus facile d’enfouir ce qui le fait souffrir que d’en faire part à un étranger, pourtant formé pour l’aider… Récemment, j’ai enfin compris que je ne pouvais pas le sauver. 

Dans ce numéro, j’ai la chance de compter sur une équipe de journalistes chevronnés pour déboulonner des mythes sur la santé mentale. Difficile de se soigner quand le malade a honte de lui et se sent exclu de notre société. De meilleures connaissances des enjeux de maladies mentales et psychiques aideront certainement la collectivité à être plus empathique et solidaire, surtout en ces temps difficiles de pandémie mondiale. 

N’hésitez pas à demander de l’aide ou à tendre la main :1 866 277-3553

*L’éditorial a été publié dans le magazine Reflet de Société, en janvier 2021.

Auteure

J'adore raconter des histoires! Souvent comme journaliste, ici comme chroniqueuse.

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