Quand mon professeur de surf, Manuel, est arrivé à Santa Teresa, il vivait dans une tente sur la plage. C’est un vrai Tico – nom donné aux Costaricains d’origine – avec le teint foncé, les yeux marron et les cheveux ébène aux pointes blondes, brûlées par le soleil et l’eau saline.
Petit et gêné, il prend son métier au sérieux. Depuis sa tendre enfance, la mer est son terrain de jeu. J’avais confiance de traverser avec lui les vagues fortes qui s’abattaient fermement sur moi.
J’ai appris à me protéger la tête sous l’eau pour éviter que la planche attachée à ma cheville me fracasse le crâne. J’ai aussi compris que je ne pouvais pas me battre contre la puissance de l’océan. Je devais attendre que la vague me rejette des mètres plus loin avant de reprendre mon souffle.
Et j’embarquais encore sur ma planche, la peau irritée et les épaules fatiguées, à tenter de rejoindre les vrais surfeurs de l’autre côté des vagues, attendant le moment opportun pour me mettre debout.
J’ai vécu cet état de grâce où tu as l’impression de toucher ni ciel ni terre, et de littéralement voler en direction de la plage en faisant confiance à la planche qui supporte ton poids et à la mer qui te propulse rapidement vers l’avant. J’ai senti la fierté de Manuel qui a passé des heures à me répéter les mêmes choses; « paddle », « stand up », « head first », « Don’t move your back foot », « look forward », « bend your knees ».
Tous les matins, je me levais avec la peur au ventre, mais je continuais à tomber et à me relever pour maîtriser ce sport extrêmement exigeant. Mon orgueil était mis à l’épreuve. Je combattais très fort ma peur de l’échec, étant habituée d’être une gagnante.
Décevoir son mentor
Un dimanche ensoleillé, mon professeur de surf est arrivé très tôt avec les yeux brillants, visiblement enthousiaste d’aller surfer les vagues à Cabuya avec ses deux étudiantes, Vanessa, une réalisatrice de Genève, et moi. Au premier coup d’œil, j’ai aimé la jeune femme fougueuse aux yeux bleus pétillants qui prenait en note avec un réel plaisir mes expressions québécoises.
Ce matin-là, Manuel avait loué un Jeep pour l’occasion, et me répétait que ce serait « une journée parfaite » (« magic day »). Il était fier de conduire, un symbole important de son ascension sociale pour celui qui a construit sa maison à la sueur de son front, à coups de matériaux recyclés. Il se permettait même quelques compliments de moins en moins subtils à mon égard, malgré sa grande timidité. Mon amie suisse se sentait de plus en plus comme la cinquième roue du carrosse en arrière dans le 4X4.
L’ambiance festive s’est rapidement dégradée quand je me suis retrouvée dans la mer. J’ai vu les yeux rieurs de Manuel devenir noirs de colère parce qu’après une courte nuit mouvementée, mon corps fatigué et courbaturé ne suivait plus la cadence. Je n’étais pas à la hauteur de ses attentes.
Je n’avais plus l’énergie ni la concentration pour me soulever sur la planche en bois de Balsa que Manuel m’avait prêtée en dernier recours. J’avais une peur bleue de la fracasser contre les rochers sachant qu’elle avait une valeur inestimable pour lui, ayant été fabriquée par un célèbre artisan. Cette journée-là, je l’ai déçu parce qu’il savait que ma tête était ailleurs. Elle n’était pas avec lui. Il a compris. Il n’était pas le seul à me courtiser.
* À noter que le nom de Manuel a été changé pour préserver son anonymat.