Née avec un glaucome – contrôlé par des gouttes ophtalmiques – Marie-Christine Ricignuolo a eu une jeunesse dite « accomplie ». Libre. Indépendante. Ambitieuse. Radieuse. Des études universitaires en administration. Promise à une belle carrière. Un permis de conduire. Employée dans une maison d’édition. L’achat d’un condo avec son amoureux, président de compagnie. Mais la pression est encore trop élevée dans ses beaux grands yeux.

Greffe de la cornée à l’âge de 25 ans pour ralentir la lésion du nerf optique. Deux ans plus tard, le corps de Marie-Christine rejette le greffon alors qu’elle vient de donner naissance à son premier garçon, Liam. Plusieurs chirurgies d’urgence s’ensuivent pour tenter une seconde greffe de cornée jusqu’à l’ultime infection dans l’œil droit.

Le trou noir

À cette époque, la Montréalaise d’origine italienne, souffre terriblement; elle a l’impression de « subir un combat de boxe tous les jours », d’être défigurée. Chaque opération amène son lot de complications qui détériorent les tissus de ses yeux. « Ç’a été tout un choc. Je tenais ma vision pour acquise parce que les médecins avaient bon espoir de contrôler la maladie », se souvient-elle. À la veille de ses 30 ans, la jeune maman devient officiellement aveugle. C’est le début d’une profonde transformation. Essentielle à sa survie.

Je me rappelle d’être dans la cuisine avec ma mère. J’entends sa voix, mais je ne l’aperçois pas, une étrange sensation comme si elle n’existait pas physiquement, explique Marie-Christine. Pour moi, c’était la fin de ma vie. Je me voyais comme un déchet. Une bonne à rien. J’ai même pensé au suicide. En perdant la vue, je perdais 100 % confiance en moi. Je perdais mon couple, ma maison et mon statut professionnel ».

Endeuillés par leur « vie d’avant », la trentenaire et son conjoint ont choisi de mettre un terme à leur relation tout en gardant une bonne entente pour le petit Liam. « Nous étions comme deux naufragés en train de se noyer, incapables de se rassurer l’un et l’autre face à l’inconnu », souligne la maman qui a aménagé chez ses parents avec son fils pour mieux gérer sa peine.

Se reconstruire malgré l’adversité

Au début, sa famille avait tendance – instinctivement – à la surprotéger. Marie-Christine ne pouvait pas utiliser le poêle à gaz ni sortir seule avec son garçon dans la cour extérieure. Elle avait peur de noyer son bébé si elle lui donnait le bain. C’était compliqué de s’habiller ou se préparer un bol de céréales. Descendre des escaliers était un défi en soi. Déjà que Marie-Christine perdait l’équilibre en marchant. Faire son lavage semblait un obstacle insurmontable. Tout lui prenait désormais plus de temps. Pas à pas, elle devait face à sa nouvelle réalité, mais d’abord accepter sa perte de vision irréversible.

« Je vois des ombres. Je peux percevoir l’intensité de la lumière, savoir si c’est le jour ou la nuit, dit-elle. Mais j’entends aujourd’hui plus que jamais les oiseaux chanter. Quand il n’y a pas de feuilles dans les arbres pour atténuer le bruit ambiant, je suis capable d’entendre une voiture qui arrive de très loin. Je ressens aussi beaucoup plus les textures parce que je touche à tout. Quoique c’est plus difficile en période de coronavirus

Pour faire ses courses, Marie-Christine demande toujours l’assistance d’un commis pour trouver ses articles. « Je me dirige tout droit au comptoir en entrant dans un commerce sinon je risque de foncer partout. Je demande parfois aux inconnus de me guider », dit-elle. La non-voyante sait d’ailleurs s’orienter facilement dans le métro parce qu’elle a en mémoire le réseau de la Société de transport de Montréal (STM).

Revenir à l’essentiel

Marie-Christine n’a pas toujours été aussi optimiste. Les premiers mois, la jeune femme déprimée n’osait pas sortir de la maison. Frustrée, elle avait honte de marcher avec une canne blanche. Le jugement des autres lui faisait peur. « Moi-même, je jugeais énormément les autres selon leur apparence. Je me comparais tout le temps à mes amis, à mes collègues et aux voisins. Je pensais que le bonheur, c’était d’avoir du succès, la richesse, les beaux voyages et les grandes maisons avec un garage double. J’étais vraiment superficielle », avoue celle qui reçoit désormais une pension d’invalidité.

Sans mes yeux, il n’y a plus de pression sociale. J’ai renoué avec la simplicité. Je ne vois que l’essentiel. Avoir perdu la vue m’aura certainement ouvert le cœur, ajoute-t-elle. Le vrai bonheur, c’est les moments passés avec mon fils, ma famille et mes amis. Je savoure l’instant présent. Mes sens sont plus stimulés. Je suis définitivement plus heureuse maintenant. »

Apprivoiser la canne blanche

Selon Marie-Christine, son désir de devenir autonome pour son enfant lui a permis de faire des bonds de géants. Après avoir cédé à la panique pendant quelques mois, confinée dans sa chambre, elle a enfin demandé de l’aide pour sa réadaptation. En s’inscrivant à l’Institut Nazareth et Louis-Braille, elle a appris à être fonctionnelle avec son handicap visuel. Les spécialistes en orientation et mobilité lui ont prodigué une bonne dose de motivation et lui ont surtout redonné confiance en elle.

« Les professeurs dédramatisent tellement notre réalité. Pour obtenir leur diplôme, ils ont passé 60 heures les yeux bandés, munis d’une canne blanche, dans le centre-ville de Montréal. Ils ont des solutions pour toutes nos incertitudes et nos craintes. Il y a 1000 façons de traverser la rue sans nos yeux. Tu peux utiliser le vent, les feux sonores, demander à un passant. Pour moi, c’était une révélation. Je pouvais vivre en étant non-voyante dans la métropole », soutient-elle.

La Fondation des aveugles du Québec a des hébergements à prix modique (HLM) pour la clientèle non-voyante ou à mobilité réduite. Chanceuse, un appartement venait de se libérer dans Hochelaga-Maisonneuve.« J’ai appris à lâcher prise. Je suis capable de faire mon lavage même si mes couleurs ne sont pas séparées parfaitement et que du savon tombe à côté de la laveuse. C’est correct si mon fils arrive à la garderie avec des bas dépareillés ou du Nutella sur le front. Ce n’est pas la fin du monde », explique-t-elle en riant.

Une maman originale

Liam peut parfois être choqué lorsque Marie-Christine frappe un bac à recyclage en marchant avec lui. Le garçon ne comprend pas toujours que sa maman ne voit pas les portes d’ascenseur qui sont ouvertes devant elle. « Et en même temps, il me demande de lui raconter une histoire même s’il est conscient que je ne peux pas lire. Liam est simplement heureux que j’ouvre un livre pour inventer une histoire », dit-elle.

En revanche, la trentenaire admet ne pas pouvoir être aussi spontanée qu’avant. Tout lui demande un peu plus de temps et d’organisation, mais elle demeure fière de pouvoir se déplacer avec sa canne en portant son fils et ses courses dans les bras.

L’enfant de quatre ans a hérité de son glaucome. « Mon fils a une bonne vision. Je peux juste espérer que ça continue parce que ça ne sert à rien d’anticiper le pire. Vivre dans la peur ou céder à la panique n’aide pas à régler les problèmes. L’important, c’est d’être en santé, d’avoir un toit sur la tête et de la nourriture dans le frigo », souligne-t-elle.

Aujourd’hui, Marie-Christine désire partager son histoire dans les écoles et les organismes à but non lucratif. La conférencière et vlogueuse souhaite faire tomber les préjugés sur le quotidien des personnes non-voyantes. Elle accueille « cette nouvelle expérience » avec sagesse : « être connectée à l’essentiel, c’est tellement plus agréable! ». Son bonheur est contagieux!

Auteure

J'adore raconter des histoires! Souvent comme journaliste, ici comme chroniqueuse.

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