Chaleur accablante et humidité frappent de plein fouet Montréal depuis une semaine. En sortant d’une réunion à l’air conditionné au centre-ville, j’étouffe sous le soleil du midi. Ma jupe vaporeuse et ma chemise légère me collent instantanément à la peau. 

La sueur perle entre mes seins. Je détache machinalement un bouton en appuyant ma bouteille d’eau froide dans mon cou. Je rêve de plonger dans un bain glacé après une nuit d’insomnie dans mon appartement suffocant du Plateau Mont-Royal.

Je choisis de prendre l’autobus 24E sur Sherbrooke au lieu de m’enfoncer dans le métro avec les autres citadins exténués par la canicule qui est sur toutes les lèvres. Cônes orange, klaxons, trafic, j’ai l’impression d’avancer au compte-gouttes. J’ai de la difficulté à respirer. Mon cœur résonne dans ma tête. Je manque d’air.

Je sonne la cloche pour sortir dehors, mais aucune brise ne vient rafraîchir l’atmosphère pesante de la ville bétonnée. Ma vue s’embrouille. J’ai le sens du timing, je perds connaissance devant l’hôpital Notre-Dame. Je me réveille à l‘urgence sur une chaise roulante.

Je suis confuse. Je vérifie que j’ai toujours mon portefeuille et mon cellulaire. Une infirmière prend mes signes vitaux. Je passe un électrocardiogramme. On me conseille d’attendre pour voir un médecin. Le gardien de sécurité m’aide ensuite à m’asseoir dans la salle d’attente.

Faune hétéroclite

Je lève les yeux. Six ambulanciers et deux policiers escortent trois personnes attachées sur des civières.  L’un des hommes de loi me sourit devant l’immense fenêtre. Je suis aveuglée par le soleil, mais je remarque ses yeux verts et ses belles fesses. Je commence à retrouver peu à peu mes esprits.

À ma droite, une femme d’une quarantaine d’années portant une robe noire et un bandana coloré sur la tête fait signe à un jeune garçon aux cheveux châtains bouclés dans le stationnement monopolisé par les ambulances. Avec son sac à dos noir sur l’épaule et ses Converses aux pieds, il se dirige vers nous en écrasant nonchalamment sa cigarette. À mon grand étonnement, les amoureux s’embrassent langoureusement.

Je me demande alors si je pourrais avoir une aventure avec un homme 15 ans plus jeune que moi lorsqu’Isabelle attire mon attention avec ses cris stridents. Visiblement connue du personnel médical, tous l’observent avec une certaine indifférence pendant que l’agent de la paix lui demande plusieurs fois son nom de famille.

En état de panique, la femme de mon âge, en coton ouaté noir, a des convulsions. Son mascara bleu lui coule sur son visage. Elle est terriblement effrayée, incapable de communiquer avec le monde extérieur. J’ai envie de lui fredonner une berceuse en lui touchant l’épaule pour la calmer lorsque je croise son regard absent. La maladie mentale fait des ravages.

J’entends des pleurs derrière moi. Une femme édentée au visage noirci par le soleil se lamente en se berçant vers l’avant. Elle tient son bras droit qui semble avoir doublé de largeur.  Elle a des marques de brûlures ou des plaies qui parsèment l’ensemble de son corps. Elle est pieds nus, assise près d’un couple d’Europe de l’Est.

Les touristes aux vêtements griffés semblent découragés par l’état des lieux. Le quinquagénaire à la chemise marquée par des cernes de la transpiration discute avec un Japonais timide qui fixe le sol. À leur côté, une jeune haïtienne couchée sur les chaises exprime son impatience à haute voix.

L’urgence ne dérougit pas. Une dizaine de personnes âgées en insuffisance respiratoire ainsi que beaucoup de gens avec des problèmes psychologiques et de consommation défilent devant moi. L’attente est interminable. Je décide finalement de quitter le bourdonnement incessant des malades de Notre-Dame. La canicule aura fait une soixantaine de morts au Québec. Je me suis prescrite du repos et beaucoup d’eau.

Auteure

J'adore raconter des histoires! Souvent comme journaliste, ici comme chroniqueuse.

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