En novembre 2016, je priais à haute voix pendant que Marie-Eve menait le plus grand combat de sa vie. J’ai eu peur de perdre ma grande amie parce que les médecins n’ont jamais pris au sérieux ses douleurs menstruelles. L’endométriose, une maladie chronique incurable, est encore taboue et souvent mal diagnostiquée au Québec, et partout sur la planète. 

Marie-Eve et moi au chalet cet été.

Septembre 2003. Rentrée universitaire en journalisme à l’Université du Québec à Montréal. Fébrile, j’attends dans la cour extérieure du pavillon J.-A.-DeSève. Je ne connais personne. Pour passer le temps, je décide de fumer une cigarette. Je demande du feu à une jeune femme aux cheveux rouges courts avec un kangourou noir et des Docs Martin aux pieds.

Le point de départ d’une amitié véritable et inconditionnelle. Par un pur hasard, nous sommes dans la même classe. Nous deviendrons d’excellentes partenaires de voyage.

À l’étranger, j’ai des souvenirs de Marie-Eve qui fait les cent pas au milieu de la nuit dans notre chambre. Je me réveillais en l’apercevant qui pleurait en silence dans la pénombre, les mains sur le ventre. Impuissante, je n’étais d’aucun secours. Pliée de douleur, ses crampes menstruelles l’ont souvent empêchée de dormir. 

Des crampes banalisées

Femme de tête et maître de ses émotions,  Marie-Eve ne se plaignait jamais, mais la journaliste cherchait activement des réponses en questionnant différents médecins sur sa condition. Pas facile d’avoir des règles abondantes pendant plus de 20 jours. Sans compter qu’elle pouvait ressentir de la douleur durant ses relations sexuelles à certaines périodes de sa vie.

Ça fait 10 ans que j’ai mal au ventre ! Ça fait 10 ans que je ne suis pas prise au sérieux ! Mon médecin de famille a toujours banalisé ma souffrance », croit Marie-Eve qui a finalement appris à vivre avec son supplice en prenant des antidouleurs et des anti-inflammatoires durant ses menstruations.

L’été dernier, elle s’est présentée à l’hôpital, paralysée par de violents spasmes au ventre alors qu’un kyste ovarien de plus 10,5 cm venait d’éclater dans son utérus. Le médecin de l’urgence lui a prescrit du Tylenol. Marie-Eve a alors pété un plomb. Encore une fois, elle a insisté pour qu’un spécialiste examine son cas. Impossible que de simples crampes menstruelles lui causent autant de tort. Voyant sa détresse, le médecin a finalement accepté qu’elle rencontre une jeune résidente en gynécologie.

Une maladie incurable

Olivier a demandé Marie-Eve en mariage sur son lit d’hôpital.

À l’aube de ses quarante ans alors qu’elle souhaitait avoir un enfant avec son amoureux, le diagnostic est tombé. Elle est atteinte d’une maladie chronique incurable :  l’endométriose stade 4 – le plus élevé –  qui anéantie presque toutes ses chances d’être enceinte.

« Avant d’être au stade 4, j’ai passé par le stade 1, 2, 3. J’apprends aujourd’hui que je suis infertile et qu’on doit me mettre en ménopause malgré mes demandes répétées d’aide aux spécialistes de la santé ! », me dit-elle.

Depuis des années, une partie de son sang menstruel s’est greffé à ses ovaires ou à d’autres organes tels que son foie, sa vessie ou l’intestin au lieu de s’évacuer à l’extérieur de son corps. Ces foyers, des lésions d’endométriose, peuvent malheureusement mettre en péril la vie de mon amie.

  « La meilleure place pour cultiver une bactérie, c’est dans du vieux sang », me souligne Marie-Eve qui a été hospitalisé pendant 21 jours. Les médecins étaient incapables de lui donner l’heure juste lorsque son corps a complètement déraillé.  

Un mal mystérieux

Au début de novembre 2016, sa nouvelle docteure lui a fait une injection de Depot-Lupron pour arrêter son cycle menstruel en lui proposant aussi d’envoyer un liquide dans ses trompes de Fallope pour vérifier si d’autres amas de sang – adhérences – s’y étaient logés pour former des kystes.

Lors de « cette procédure de routine », une bactérie s’est probablement glissée en entrant par le cathéter. Celle-ci a proliféré à une vitesse folle dans le corps de Marie-Eve qui est débarquée trois jours plus tard à l’urgence du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS) en hurlant de douleur.

À l’hôpital, ça dégénéré. Je me suis mise à vomir dans la salle d’attente.  Les médecins m’ont donné la dose maximum d’antidouleurs, mais rien ne me soulageait. Je ne savais pas ce qui se passait. Je n’étais plus capable de penser, mais je voyais l’inquiétude dans les yeux du personnel médical », se souvient-elle.

Un ourson en peluche lui tenait compagnie.

Marie-Eve a passé une ribambelle d’examens avec des résultats catastrophiques qui n’expliquaient en rien son affliction. Au bout de ses réserves d’énergie, son corps a lâché. Endométrite, péritonite, ses poumons se sont remplis d’eau et son cœur s’est emballé  incapable de gérer les solutés et les antibiotiques administrés pour la soulager.

 « Mon esprit cherchait un endroit où aller se réfugier. Je ne savais plus quoi faire. Je n’étais plus bien dans mon corps. J’étais témoin de ma propre vie qui m’échappait » m’explique-t-elle, émue. Le médecin, entouré des résidents de l’hôpital, lui a alors avoué que c’était normal si elle sentait qu’elle passait de « l’autre bord ».

Le personnel médical a finalement découvert que l’infection était dans son sang. Marie-Eve faisait un choc septique qui tue une personne sur deux. Les médecins devaient rapidement faire des ponctions des foyers contaminés par la fameuse bactérie.

Perte de contrôle

Ayant de la difficulté à marcher et le dos voûté, la combattante est sortie de l’hôpital une semaine plus tard avec son manteau d’hiver. En entendant la musique de Noël à la radio, Marie-Eve a réalisé qu’elle avait perdu la notion du temps. En entrant au CHUS, elle portait une veste légère d’automne.

« Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie.  J’étais toute seule devant l’inconnu. Et malgré tout ce que j’ai traversé, mon problème n’est toujours pas réglé », me dit-elle amère de son séjour dans le milieu hospitalier qui maîtrise toujours mal cette maladie féminine qui a irradié son corps de douleurs.  

Sa seule option demeure encore pour quelques mois la ménopause artificielle avec son lot d’effets secondaires – prise de poids, ostéoporose, bouffées de chaleur, etc. – puis la pilule en continue en attendant que son corps ne produise plus d’hormones naturellement. En espérant que les amas de sang existants ne lui causent pas d’autres dommages d’ici là.

De retour d’une randonnée au mont Orford, nous sommes attablées dans un restaurant presqu’un an plus tard. Marie va bien, mais elle doit accepter aujourd’hui de ralentir le pas. À plusieurs reprises, j’ai dû arrêter dans le sentier pour lui permettre de me rejoindre en oubliant pendant quelques secondes l’épreuve terrible qu’elle a traversée. J’ai trop l’habitude de voir mon amie forte et en contrôle.   

J’ai appris à ne plus repousser systématiquement mes limites parce que c’est plus long aujourd’hui recharger mes batteries. J’ai arrêté de vouloir performer sur tous les fronts et de vivre toujours intensément en étant une vraie machine. J’accepte désormais de prendre des pauses même si je veux encore jouer à Don Quichotte », m’avoue-t-elle.

Un mantra que plusieurs personnes auraient besoin de se répéter, dont celle qui écrit ses lignes, reconnaissante que son amie soit encore en vie. En Europe, l’endométriose est qualifiée de « cancer qui ne tue pas ». Une chance parce que nous partons l’an prochain à Bali pour célébrer nos 15 ans d’amitié.

Pour en savoir plus sur l’endométriose, cliquez sur cette sympathique vidéo de France Info sur Facebook.

 

Auteure

J'adore raconter des histoires! Souvent comme journaliste, ici comme chroniqueuse.

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