À première vue, je n’aime pas la police. J’ai toujours l’impression d’être coupable d’un crime lorsque je croise une autopatrouille. Je ralentis automatiquement pour éviter le zèle d’un homme de loi. Probablement des relents de ma personnalité un peu rebelle qui aimait défier l’autorité à l’adolescence.

Pour me défaire de mes préjugés et recevoir ma dose d’adrénaline, j’ai décidé de suivre des agents de la paix. Le programme Cobra du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) permet à tout civil de prendre place auprès d’un policier dans l’exercice de ses fonctions. Ce qui m’a permis de découvrir qu’ils ne courent pas seulement après les dangereux criminels ou les conducteurs fautifs, mais endossent la plupart du temps le rôle du travailleur social en intervenant en première ligne auprès des personnes intoxiquées et atteintes de maladies mentales.

L’hiver dernier, les policiers portaient la casquette rouge, ainsi que le jeans ou un pantalon de couleur en signe de protestation contre le projet de loi sur les régimes de retraite. Crédit photo: Geneviève Raymond

J’arrive au district 7 dans l’arrondissement de Saint-Laurent pour le fall in – la réunion d’équipe – à 14 h 30. Il y a autant de femmes que d’hommes autour de la table. Je ressens rapidement la franche camaraderie qui les unit pendant que le sergent donne ses instructions. Je ne comprends pas tout parce que les policiers utilisent des codes pour économiser des mots sur les ondes radio. Ils ont aussi tous des surnoms plus ou moins surprenants.

Une cible de choix

Je sillonnerai les rues de Montréal avec les agents Valé et Cailloux, deux policiers qui ont choisi leur métier avec conviction pour protéger les citoyens et faire respecter la loi. J’ai confiance de faire équipe avec eux.

« On ne sait jamais à quoi on sera confronté » me lance avec enthousiasme l’agent Valé, soucieuse de me faire un portrait juste de leur réalité. Sans maquillage et les cheveux châtains tirés en toque sur la tête, la jeune femme sportive et vive d’esprit semble toute petite sous son gilet pare-balle, mais elle en impose avec ses pantalons de camouflage et son pistolet à la hanche.

Au début de la quarantaine, Cailloux est un bel homme souriant qui doit souvent se faire remarquer par la gent féminine ou masculine. Beaucoup d’immigrants s’installent à Saint-Laurent. Il se fait un devoir de les saluer dans leur langue en apprenant quelques mots d’arabe, de vietnamien, de mandarin, de grec et d’espagnol. Toujours en contrôle de la situation, le policier demeure optimiste malgré la misère qu’il voit au quotidien.

« Les policiers sont des cibles faciles » me souligne l’agent Valé, consciente que certains citoyens peuvent les mépriser. Les gyrophares allumés ou pas, je constate que nous attirons toujours l’attention. Les regards curieux, inquiets ou hostiles sont en permanence posés sur nous, peu importe l’endroit où nous sommes. Le badge vient avec une aura et de grandes responsabilités.

Une voiture est tombée en panne sur l’autoroute 720 lorsque j’ai fait mon « Cobra » en février 2017. Crédit photo: Geneviève Raymond

En fuite dans un froid polaire

Notre premier appel concerne la disparition d’un homme de 91 ans. Après son troisième AVC qui l’a notamment laissé paralysé au visage, sa femme craint qu’il intente à sa vie. À la suite d’une chicane de couple, il est sorti promptement de la maison contrairement à ses habitudes.

Leur maisonnette blanche, meublée aux goûts des années 80, détonne avec les tours à condo construites en face d’un centre d’achat. Celle-ci semble résister au temps comme ses propriétaires. Dégourdie, la septuagénaire nous explique que son mari orgueilleux l’a menacée du poing avant de prendre la fuite. La grand-maman est attachante avec son franc-parler de celle qui a déjà vu neiger.

La situation peut néanmoins devenir critique au cœur de l’hiver québécois. Il faut retrouver l’homme à la santé fragile avant que la nuit glaciale tombe. Plusieurs agents de police viennent en renfort pour le rechercher dans le Métro Côte-Vertu et montrer sa photo aux chauffeurs d’autobus et de taxis alors que d’autres patrouillent le quartier.

Pendant ce temps, le vieil homme aura marché sur les trottoirs glacés durant presque trois heures jusqu’à Laval chez son fils, à plus de 15 km de chez lui. La belle-fille secouée nous a immédiatement avertis lorsqu’il a franchi le pas de sa porte. Quand nous entrons dans la maison avec nos bottes enneigées, le fugitif place les mains devant moi pour que je lui passe les menottes. Il n’a pas perdu son regard espiègle malgré qu’il soit frigorifié, enseveli sous une tonne de couvertures. Entêté, il accepte tout de même d’aller à l’hôpital avec les ambulanciers.

Québec a adopté en octobre dernier son projet de loi 133, qui contraint les policiers à mettre de côté leurs pantalons de camouflage et leurs t-shirts syndicaux dans l’exercice de leurs fonctions. Crédit photo: Geneviève Raymond

Intrusion dans la vie privée

Je remarque que nous entrons dans l’intimité des gens fragiles qui se confient facilement à nous. Il faut faire preuve de beaucoup d’écoute, de patience et de bonté. Je suis particulièrement ébranlée par l’appel d’une réfugiée d’origine syrienne craignant son fils schizophrène et agressif. La famille a fui les bombes d’Alep en 2015 pour aménager au Québec dans un minuscule trois et demi en bordure de l’autoroute 15.

À notre arrivée, des morceaux de verre jonchent le sol de la petite cuisine laboratoire. Il est impossible de communiquer avec la maman désemparée qui ne parle pas les langues officielles du Canada. Par ses gestes, la femme d’une cinquantaine d’années nous invite à prendre place dans le salon près de son fils qui semble calmé. En attendant les policiers, il a pris un médicament pour soulager le début de sa psychose.

Triste et confus, l’homme de 31 ans en jogging bleu nous raconte dans un français bien maîtrisé qu’il est incapable de tolérer les bruits trop forts alors que sa mère lui crie toujours après avec un regard méchant. Il a l’impression de ne jamais bien se comporter à ses yeux. Il pleure. Cette journée-là, elle a même osé fumer trois cigarettes dans ce logement peu aéré. Ayant l’impression d’étouffer, il a pété les plombs. J’ai le sentiment d’écouter un enfant souhaitant que nous réprimandions sa maman qui est en retrait, la tête baissée.

L’agent Cailloux s’assure que le jeune homme a un médecin ici et il lui recommande de sortir de l’appartement lors de ses moments de frustration. Pour briser sa solitude, l’agente Valé lui donne un numéro du CLSC qui organise des activités avec les nouveaux arrivants. Des petits gestes concrets avant de passer à une autre gestion de crise.

Nous nous apprêtons à quitter lorsque la femme fond en larmes. Instinctivement, je me dirige vers elle pour la réconforter. Elle doit avoir eu très peur pour appeler en panique la police dans un pays qu’elle ne connait pas. La porte fermée, la perte de contrôle violente de son fils malade risque malheureusement encore de se répéter. L’amour maternel peut faire mal.

La patrouille a intercepté un vieil homme qui s’engageait avec sa voiture à sens inverse sur un boulevard. Crédit photo: Geneviève Raymond

Des citoyens en péril

En embarquant dans l’autopatrouille, nous apprenons que des collègues viennent de défoncer la porte d’un garage pour sauver une jeune fille suicidaire qui souhaitait s’endormir à jamais sur la banquette arrière de la voiture en inhalant du monoxyde de carbone. Alertés par son amie, les policiers ont localisé l’endroit juste à temps grâce au GPS de son cellulaire. Une vie rescapée en catimini en l’absence de ses parents.

Nous partons ensuite prêter main-forte à des policiers de Lachine qui interviennent dans un cas de violence conjugale. Pourtant, la femme nie en soulevant son chandail pour démontrer qu’elle n’a aucune marque sur le corps. « Ça arrive souvent parce que l’homme exerce une grande violence psychologique sur sa femme, m’explique un des policiers. Dans ces cas-là, on ne peut rien faire ».

Par précaution, un agent reste chez la voisine qui a entendu les cris. Il veut s’assurer qu’elle est en sécurité après le départ des policiers. Pendant ce temps, trois autopatrouilles patientent à quelques mètres du logement sur une rue parallèle. C’est l’occasion pour eux de discuter en attendant le prochain appel au 911. Derrière les rideaux, des personnes intriguées épient l’attroupement policier au milieu de la nuit froide.

Les gyrophares attirent l’attention des badauds cachés derrière les rideaux. Crédit: Bob August

Une des patrouilles revient d’un logement insalubre à l’odeur fétide où les agents de la paix n’ont même pas osé frôler les murs tellement ils étaient crasseux. Le sexagénaire en camisole blanche jaunie a souvent l’habitude d’appeler les policiers quand il est trop ivre. L’homme alcoolique quémande un peu de compagnie. La seule chose que les agents ont pu faire, c’est de cacher sa caisse de bière en attendant qu’il dégrise un peu.

Au quotidien, les policiers côtoient les personnes les plus vulnérables de notre société. Je leur demande comment ils font pour ne pas se laisser envahir par la détresse humaine. En éteignant le moteur à la fin de notre quart de travail, l’agent Cailloux me répond : « Nous avons de l’empathie  pour eux contrairement à toi qui ressens de la sympathie en te mettant à leur place ». Il a raison, j’aurais aimé trouver des solutions pour toutes ces âmes en peine. Ce n’est pourtant pas leur responsabilité ni la mienne. Les policiers n’ont pas d’autres choix que de se détacher.

Auteure

J'adore raconter des histoires! Souvent comme journaliste, ici comme chroniqueuse.

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