5h30. Je me réveille dans ma « cellule ». C’est le nom donné à la chambre étroite et dépouillée des moniales. Il fait froid. Au pied de mon petit lit, une bible est déposée sur un tapis blanc devant une icône de la « Vierge de tendresse à l’Enfant Jésus ».
Je me glisse hors des draps pour rejoindre les sœurs et les frères de Jérusalem dans le Sanctuaire du Saint-Sacrement. Avec mon grand foulard de laine sur les épaules, je descends tranquillement les quatre étages guidée par la faible lumière des sorties de secours du monastère jusqu’à la porte de l’église, encastrée dans les larges pierres grises.
Couverts d’une cape liturgique blanche, une dizaine de religieux sont prosternés devant l’autel. Les moines et les moniales sont couchés sur leurs genoux le front au sol ou assis sur un banc de bois très étroit. Le lieu de culte est plongé dans la pénombre alors que peu de bruits viennent briser la quiétude matinale.
À 6h30, ils entament une liturgie chantée à l’Esprit-Saint : « Seigneur ouvre mes lèvres et ma bouche publiera ta louange » après une nuit en sourdine pour replonger dans des prières silencieuses jusqu’au premier office Laudes, à 7h00. Les voix à l’unisson sont apaisantes, trop calmes pour mon réveil hâtif. Je sommeille encore en observant leur rituel, perdue dans mes réflexions.
« Il n’y a pas plus moine que Jésus Christ puisqu’il est pauvre, chaste et obéissant, il vit le cœur à cœur avec Dieu, partage la vie commune avec les Douze et avec les disciples, puisque c’est un homme de prière, d’humilité, en seul à seul, avec le père. » (Jean 10,30 :16,32)
Quête spirituelle
Je respecte ceux et celles qui consacrent leur vie à Dieu sans nécessairement adhérer à l’ensemble de leur croyance et de leur dévotion. J’aime visiter les cathédrales en voyage et me recueillir dans ces endroits paisibles et souvent grandioses grâce à leurs architectures, leurs ornements et leurs vitraux colorés créés avec soin. Je me sens privilégiée de vivre ce moment unique avec cette communauté religieuse.
Baptisée, j’expérimente davantage ma spiritualité à travers le yoga et la méditation qui font de plus en plus d’adeptes partout sur la planète. Les yogistes en leggings serrés et souvent griffés cherchent à reconnecter avec leurs corps et leurs sensations en ramenant l’esprit dans le moment présent grâce aux postures et à la respiration.
Au lieu de réfléchir aux paroles de l’Évangile et à la Trinité, nous cherchons une paix intérieure à coups de mantras « om » et en tentant d’équilibrer nos chakras. À la fin de la séance, nous nous saluons en joignant les paumes des mains devant la poitrine avec un «Namaste » avant d’appuyer notre front contre le tapis de yoga en remerciant « l’univers » pour cette douce période d’accalmie.
Choisir le monachisme
Je ne peux m’empêcher de faire ce parallèle entre ces deux quêtes spirituelles pourtant bien différentes. Au monastère, des femmes choisissent de vivre quotidiennement dans la prière perpétuelle et le silence pour mieux « dialoguer avec Dieu ».
« Avoir un environnement plus silencieux aide à rentrer en soi. Mais aussi de pouvoir, en soi, entendre Dieu », m’explique sœur Élisabeth, 48 ans, avec sa voix douce et posée. L’ancienne bibliothécaire aux lunettes bleu marine joue aujourd’hui le rôle de sœur prieure. Elle supervise les neuf moniales habitant dans la maison sobrement décorée de livres et de peintures bibliques.
La cuisine et les escaliers sont des points stratégiques pour échanger quelques mots à la volée en prenant soin de ne pas rompre le recueillement des autres religieuses entre les différents offices et les activités réalisées la plupart du temps en silence. Les frères et les sœurs de Jérusalem vivent séparés pour faciliter les vœux de chasteté.
« Le nom de Jérusalem que tu portes désormais, dit que tu appartiens au Seigneur tout entier et pour toujours ; que ta mission est de te laisser envahir par l’amour de Dieu et de l’annoncer par une vie de sainteté. », peut-on lire dans le Livre de vie des Fraternités monastiques et laïques de Jérusalem, déposé sur ma table de chevet.
Quitter sa vie active
« Je n’avais jamais pensé de ma vie entrer au couvent, jamais, mais vraiment jamais. Plus fêtarde que moi, il n’y en n’avait pas », rigole sœur Arlette, vêtue d’un voile blanc et d’un habit de denim bleu pâle. La Guinéenne de 36 ans est pétillante et chaleureuse. Je ne doute pas une seconde qu’elle pouvait enflammer une piste de danse avec sa bonne humeur contagieuse.
Chrétienne pratiquante avec un bon emploi, Arlette profitait de la vie nocturne montréalaise jusqu’au jour où elle a ressenti « la présence du Seigneur » en écoutant les chants de Taizé, ponctués de grands moments de silence, à l’oratoire Saint-Joseph.
« Dans mon cœur, j’avais l’impression d’avoir touché un lieu de plénitude. Malgré le travail et les amis, il y avait une espèce de vide intérieur à combler, me raconte-elle. Habitée par cette rencontre avec Dieu, je sentais qu’il y avait une réponse à donner sans être capable de mettre des mots justes sur ce sentiment ».
Plusieurs mois se sont écoulés entre « l’appel », sa démission, la vente de tous ses biens et la fermeture de son compte de banque. « Tout ce processus n’est évidemment pas sans combat. Je me demandais si je n’étais pas en train de devenir folle », souligne sœur Arlette qui a embrassé le monachisme à 27 ans.
« Vends ce que tu possèdes. Donne-le aux pauvres, viens et suis-moi » (Matthieu 19:21)
Un amour foudroyant
À mon arrivée au sanctuaire, j’ai préparé le repas du midi avec sœur Marie-Élisabeth. Au menu : pâté chinois et salade grec pour une tablée de douze personnes. Cette jeune femme réservée au visage délicat reflète une belle candeur et bienveillance. La Française de 32 ans répondait en chuchotant à mes questions qui brisaient sa routine solitaire.
« J’ai eu un coup de foudre pour Dieu avec le désir de tout donner » me dit-elle en souriant pour m’expliquer la révélation qu’elle avait eue dans un rêve à quelques jours de sa rentrée scolaire. Je veux partager cet amour avec mes sœurs et la communauté. Je veux partager cette joie comme un cadeau ».
De retour de son travail à Première Moisson, sœur Bethany entre en coup de vent dans la cuisine aux larges armoires en bois. Au début de la trentaine, l’Ontarienne renchérit avec aplomb sur la notion de relation « passionnelle » avec Dieu.
Je peux ressentir des désirs charnels, mais mon amour pour le Seigneur est plus grand. Je veux renoncer à moi-même pour m’attacher exclusivement à lui », soutient celle qui a déjà eu des hommes dans sa vie avant de faire son noviciat.
Les sœurs de Jérusalem sont fidèles à Dieu, à « l’être bien-aimé » en faisant notamment vœux d’obéissance, de chasteté, de pauvreté et d’humilité pour tendre à «la perfection de la charité ». Elles entretiennent une « relation exclusive » avec lui en évitant toutes sources de distractions ou d’éparpillements tels que la musique ou le cinéma. La solitude est essentielle à leur foi.
« On est constamment à l’écoute de l’irruption de Dieu dans nos vies. Il se manifeste rarement dans le grand bruit, précise sœur Arlette. Tout doit être prière, ma vie doit être une prière pour ne pas perdre le canal de dialogue avec lui ».
Vivre à l’écart du monde
En revanche, les trois trentenaires trouvent parfois plus difficile de limiter les contacts avec leurs proches. « Je n’ai plus accès à mes amis au quotidien, souligne sœur Arlette. Si je voulais entrer pleinement dans ce choix de vie, il fallait faire des renoncements ».
À l’époque, les moines du désert – les ermites – ressentaient le besoin de se retirer, de vivre en rupture, mais pour une plus « grande communion ». Fondé en 1975 par Pierre-Marie Delfieux, les Fraternités de Jérusalem habitent quant à eux « au cœur de la ville au cœur de Dieu ».
Selon le fondateur, la ville est un « désert individuel » où plusieurs personnes vivent seules, anonymes et sans vraies relations fraternelles, malgré la promiscuité.
Rien ne peut finalement plus isoler l’homme que d’être au milieu des foules sans avoir à qui parler, avec qui partager quelque chose d’essentiel, soutient-il dans la revue Sources Vives. Le monastère est une oasis dans le désert de la ville ».
Les citadins peuvent ainsi pousser la porte d’une église pour retrouver des moines et des moniales en prière. « On est là comme des phares, tournés vers l’éternité. On invite les gens à regarder dans le même sens, explique sœur Arlette. Nous sommes des veilleurs sur les remparts de la ville ».
Les lourdes portes du Sanctuaire du Saint-Sacrement se referment derrière moi. Je me retrouve dans le brouhaha de l’avenue Mont-Royal, coin Berri à l’heure de pointe. Les klaxons résonnent. Un piéton traverse la rue sans regarder en se faufilant entre les camions de déneigement pour courir jusqu’à la station de métro. Je réalise combien la quiétude est une denrée rare. Je n’avais jamais passé autant de temps dans le silence, ici à Montréal.
Pour écouter une courte vidéo de leurs chants liturgiques cliquer ici.
Visiter la galerie photos sur la vie au monastère.
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