Horloge biologique. Deux mots clés pour rappeler aux femmes que leurs ovules ont une date de péremption. À partir de trente ans, le drapeau rouge est levé par le nouveau soupirant, les membres de la famille ou encore des personnes indiscrètes s’immisçant dans cette réflexion très personnelle.

Faut-il renoncer à la maternité si jamais on ne trouve pas le prince charmant? La vraie vie n’a rien avoir avec les contes de fées. Et la science permet aujourd’hui d’avoir un bébé par la procréation médicale assistée (PMA). La fertilité féminine chutant après l’âge de 35 ans, des femmes choisissent d’avoir un enfant sans père.

Impossible que j’abandonne mon rêve d’être maman parce que je ne suis pas tombée sur le bon numéro, me lance Mélissa, enceinte de sept mois grâce à l’insémination artificielle. Je veux vivre avec toutes les couleurs de l’arc-en-ciel! Je ne veux pas me limiter à une seule ».

Avec son MBA en poche, la célibataire de 38 ans gère de gros projets d’aménagement de bureaux sur des chantiers montréalais. N’ayant pas froid aux yeux, Mélissa a gravi des montagnes un peu partout sur la planète, parfois en solo. Aucun doute que la sportive est déterminée à gagner cette longue course à obstacles.

Un lourd processus médical

« C’est un jeu de serpents à échelles! » m’explique Sophie – quarante-cinq ans – qui a passé à travers trois cycles de fécondation in vitro (FIV) avant d’être capable de bercer son fils Léopold, âgé d’un an. La recherchiste est rayonnante lorsqu’elle accepte de me rencontrer dans un café pour m’expliquer sa bataille médicale et émotionnelle.

« Motherhood is the loneliest thing » me souligne-t-elle en citant une réplique de la populaire série télévisée américaine, Six Feet Under. Avec ou sans amoureux, Sophie voulait assouvir ce besoin viscéral d’être maman.

Après ma séparation à 40 ans, j’ai consulté pour vérifier la faisabilité de fertilité en clinique. C’est là que j’ai su que ma banque ovarienne était très basse. J’ai pris la décision de commencer à avancer dans le processus seule», me dit-elle.

Sophie enceinte de Léopold. Crédit photo: Christian Bonneville

Le projet de bébé en solo a été mis en veilleuse lorsque Sophie a rencontré un homme qui hésitait à devenir le père. Après le 2e cycle FIV, ils se sont séparés. Au 3e essai, Sophie est finalement tombée enceinte, 36 mois après le début de ses démarches.

Injection d’hormones, échographies, ponction des ovules, fécondation en laboratoire, transfert de l’embryon dans l’utérus et médication pour maximiser l’implantation font partie du parcours typique de la combattante.

La procréation médicale assistée n’est pas une science exacte. Il y a seulement 14,5 % de tous les cycles de FIV qui ont donné naissance à un enfant unique en santé au Canada, en 2011. Chaque étape est donc une grande source de stress et souvent de déception pour les aspirantes mamans. La plupart du temps, les célibataires sont seules pour les affronter.

À sa première fécondation in vitro, l’embryon implanté dans l’utérus de Sophie ne s’est jamais développé. « Il est difficile de se relever d’un échec pour poursuivre ces traitements invasifs, mentionne-t-elle. Il faut d’abord faire le deuil de cet essai échoué pour recommencer un nouveau cycle et surtout, garder espoir ».

La partie mercantile

En 2014, le projet de loi 20 du ministre Barrette a mis fin à la gratuité de la procréation médicale assistée alors que les couples infertiles ont doublé depuis 50 ans. Un phénomène de société qui va s’accentuer avec notamment le nombre de spermatozoïdes qui a chuté de 60% en 40 ans chez les hommes des pays industrialisés.

À la clinique de fertilité, tous les services ont un prix. Par exemple, il est plus coûteux de choisir un donateur qui accepte de révéler son identité à l’enfant lorsqu’il aura 18 ans.

J’avais l’impression d’être au cœur d’une machine à produire des bébés, m’avoue Mélissa. La facture ne faisait qu’augmenter en fonction des options sélectionnées ».

Pour choisir le géniteur de son enfant, Mélissa a présenté cinq candidats à sa garde rapprochée qui la soutient dans ses démarches. « Tu swippes des photos comme sur Tinder pour sélectionner l’homme qui te donnera son sperme, me dit-elle. Plus son pedigree médical est bon, plus ça coûtera cher ».

Une question d’éducation

« Si les femmes n’ont plus besoin d’homme pour enfanter, ça touche clairement à la virilité des hommes », croit un ami parisien en visite à Montréal. Selon David, le Québec est en avance sur la France pour l’évolution de la famille.

Comment expliqueras-tu à ta fille l’absence d’un père?

Je vais lui dire qu’un médecin a planté une graine dans le ventre de maman, me répond Mélissa. Je vais aussi lui démontrer qu’il existe différents modèles familiaux ».

C’est déjà tout un défi d’avoir un enfant à deux, mais l’avoir seule demande beaucoup de courage. J’admire la détermination de Sophie et Mélissa qui ont foncé droit vers la maternité malgré toutes les embuches physiques, psychologiques et financières. Leur désir d’être mère était plus fort que tout. Je n’ai pas de doute que ces enfants grandiront entre bonnes mains.

Pour l’heure, je ne m’inquiète pas de ma fertilité et je ne ressens pas l’urgence d’être enceinte. Mais j’ai ouvert une boîte de pandore, notamment sur la question de l’égalité homme-femme dans l’autonomie procréative. Les femmes réclament de plus en plus que la maternité ne soit plus un destin, mais un choix.

En ce sens, l’Académie de médecine en France a adopté un rapport favorable à la conservation des ovocytes  pour permettre à toutes les femmes de prolonger leur fertilité, une autorisation donnée seulement aux personnes atteintes de maladies graves. Le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) l’a cependant rejeté en juin dernier.

Au Québec les cliniques de fertilité offrent gratuitement le service aux patientes atteintes du cancer.  Quant aux  femmes en santé, elles doivent débourser plus de 11 000$ pour la congélation de leurs ovules. J’ai l’impression que ce scénario de science-fiction risque bientôt de faire partie de notre réalité.

Une société individualiste

Selon le recensement 2016, les personnes vivant seules représentent plus du quart des ménages canadiens. La famille formée d’une mère et d’un père mariés et de leurs enfants appartient désormais au passé. Au même titre que les couples homosexuels, les monoparentales et les familles reconstituées, les mamans qui procréent en solo seront-elles bientôt plus nombreuses dans les cours d’école?

Après son accouchement, Sophie s’est retrouvée seule au milieu du stationnement avec son bébé en sortant de l’hôpital. C’est comme quand tu vois un magnifique paysage en voyage, mais que tu n’as personne avec qui le partager », me dit-elle en me racontant la fébrilité de ce moment de grand bonheur.

La globetrotteuse en moi a été touchée par cette image qui m’a fait repenser au film Into the Wild, l’adaptation cinématographique du récit Voyage au bout de la solitude où un jeune aventurier meurt dans un bus abandonné en Alaska. Avant de rendre son dernier souffle, il écrit : « Hapiness only real when shared. »

Qu’en est-il de la maternité et de notre quête de rencontrer l’âme sœur pour fonder une famille? Personnellement, j’ai encore un peu de temps devant moi pour répondre à cette question si fondamentale. Impossible de nier qu’on rêve tous à l’« happy ending » – ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants – jusqu’au dernier coup de minuit.

Auteure

J'adore raconter des histoires! Souvent comme journaliste, ici comme chroniqueuse.

1 Comment

  1. Bonjour Anick! Merci pour ton commentaire!😊 Je viens de corriger le lien vers l’article concernant la chute du nombre de spermatozoïdes. Au plaisir d’échanger!✌️

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