Au printemps 2016, j’étais en route vers les Promenades Saint-Bruno pour magasiner avec ma mère – une petite femme coquette, brillante et maîtresse de ses émotions – lorsqu’elle m’a demandé soudainement d’arrêter à sa succursale d’optique, fermée le dimanche, où elle est directrice. Elle voulait me parler, c’était important.

En apprenant qu’elle avait le cancer du sein, j’ai senti mon corps être projeté vers l’arrière au ralenti comme dans la publicité du ministère de la Santé. Le temps semblait suspendu. Les lèvres, les mains et la voix de ma maman tremblaient, les larmes ruisselaient sur son visage crispé, creusé par de nouvelles rides. Elle était effrayée, épuisée. Pour la première fois, sous les néons froids du local vide, elle paraissait son âge, 63 ans.

Ayant eu son lot d’épreuves, je trouvais que la vie s’acharnait sur elle et sur ma famille. Mon père étant aussi malade, prisonnier d’une dépression majeure, nous faisons équipe pour prendre soin de lui. Cette fois-ci, c’est elle qui avait besoin de renfort.

J’ai dû m’enraciner pour ne pas plier en serrant les poings très forts; je devais être solide pour maintenir le cap et rester positive face au combat à mener. Et pourtant, j’avais aussi très peur que le cancer s’attaque à moi en me questionnant sur ma prédisposition génétique.»

Un mois plus tard, ma mère subissait une mastectomie partielle alors que j’étais à la deuxième ronde d’entrevues pour un poste de Rédactrice en chef numérique. J’avais mis beaucoup d’énergie à me préparer; j’avais une opportunité de quitter l’emploi qui me grugeait. Et surtout, le défi professionnel m’allumait vraiment. Je me sentais toutefois coupable de ne pas être aux côtés de ma mère durant cette journée charnière de mai.

Craindre la chimiothérapie

Nous avons ensuite fait la tournée des spécialistes en rencontrant la chirurgienne, le radio-oncologue et finalement l’oncologue ou plutôt un jeune médecin en internat supervisé par la grande chef du département.

La tumeur étant retirée de son sein droit, il restait des cellules cancéreuses à bombarder. Un mois de radiothérapie était au programme, mais il restait à savoir si la chimiothérapie était d’abord nécessaire pour augmenter ses chances de guérison.

Avant d’entrer dans le bureau du médecin, j’ai reçu le courriel m’annonçant que l’emploi tant convoité me filait entre les doigts. J’ai ravalé mes larmes et j’ai pris la main de ma maman qui était extrêmement nerveuse de connaître son sort. Sur l’échafaud, elle espérait de tout cœur ne pas avoir besoin de chimio. Pour elle, c’était le poison de la mort.

Voyant sa grande réticence, l’étudiant en oncologie lui a proposé de passer un test génétique Oncotype DX sur sa tumeur pour écarter cette option. L’analyse de cellules permettrait de détecter le pourcentage de chances de récidive du cancer. Tout était une question de statistiques selon l’adage populaire « Mieux vaut prévenir que guérir».

« Nous offrons cette option aux patients en santé, capables de survivre à la chimiothérapie et ayant une bonne espérance de vie », a expliqué le jeune médecin volubile après avoir compris que mes aïeules vivaient au-delà de 90 ans.

Une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Si le test s’avérait positif, ça impliquait qu’elle pouvait faire à contrecœur de la prévention chimique. J’ai encouragé ma mère à accepter. Trois jours plus tard, le 13 juin 2016, je perdais mon emploi. C’était la brèche de trop dans mon armure. Pour ma santé mentale, j’ai décidé de m’envoler vers le Costa Rica.

Un arrêt obligatoire

Un photo de ma maman prise au chalet durant ses traitements de radiothérapie.

Quelques jours avant mon départ, j’ai eu une discussion marquante avec ma maman à boire du vin au milieu de l’après-midi sur mon balcon fleuri du Plateau Mont-Royal. Ce jour-là, on célébrait le résultat négatif du fameux test génétique. Une lumière au bout du tunnel.

À cette étape de la maladie, ce n’était pas tant le cancer ni le début des traitements de radiothérapie qui la dérangeait, mais le fait de ne plus travailler.

« J’ai l’impression d’être inutile et de profiter du système », m’a-t-elle avoué.

J’étais estomaquée. Elle avait peur d’être jugée étant en congé de maladie dans notre société où la productivité débridée est gage de réussite. Personnellement, je me sentais dévalorisée d’avoir perdu mon emploi même dans un contexte de restructuration.

J’étais coupable de ne plus avoir d’échéancier ni d’activité à mon agenda. J’avais honte de me retrouver sur le chômage. Sans responsabilité professionnelle, notre identité était finalement compromise. Pour elle, l’heure de la retraite sonnait. Pour moi, c’était le début d’une longue réflexion.

Auteure

J'adore raconter des histoires! Souvent comme journaliste, ici comme chroniqueuse.

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